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La Libre Belgique Vendredi 5 novembre 1982 Cambodge entre survie et développement Charniers, veuve et orphelins De notre envoyé spécial Le papa de Chuon Phalla était musicien, sa maman, femme de ménage. Elle n’avait que cinq ans ce jour-là, mais elle s’en souvient très bien. C’était le 17 avril 1975, le jour de la libération de Phnom Penh. Elle fût chassée de chez elle avec ses parents et sept frères et sœurs. Ensemble, ils marchèrent jusque dans un village de la région de Battambang où ils furent contraints de travailler dans les rizières. A la fin de l’année le père mourut de faim. Quelques mois plus tard, la mère fut arrêtée par les soldats et abattue. Chuon Phalla ignore ce qu’elle avait fait. Les enfants furent dispersés. Elle fut envoyée dans un village sous surveillance sévère, des enfants étaient astreints de porter des semences, de garder le bétail, de coltiner des excréments à usage d’engrais. Chuon Phalla vécut parmi eux, elle se trouvait seule, ne sachant où ses frères et sœurs avaient été arrêtés. Elle vivait dans un groupe commandé par une femme soldat qui faisait de la cuisine. Elle ne mangeait qu’une fois par jour, une soupe de riz et de légumes. Il n’y avait pas d’école. Un peuple d’esclaves Le Cambodge tout entier est un pays de veuves et d’orphelins, dit madame Pen orak, une pharmacienne qui avait autre fois une officine privé à Phnom Penh et est aujourd’hui responsable de la fabrication dans l’usine pharmaceutique numéro neuf. Moi-même, j’ai perdu quatorze membres de la famille dont un mari qui était ingénieur en électronique et mes deux enfants qui sont morts d’avitaminose dans mes bras. Nous étions obligés de cultiver du riz puis lors que la récolte arrivée, toute la production était enlevée par camions et nous continuions à souffrir de la faim. Fresques d’épouvantes C’est dans l’ancien lycée de Tuol Svay Prey à Phnom Penh qu’on peut encore rencontrer de la manière la plus tangible, l’absurdité et l’horreur de ce régime. Ce bâtiment fût à l’époque, transformé en centre de sécurité. Une vingtaine de milliers de personnes arrêtées et furent incarcérées, paysans, ouvriers, techniciens, militaires, ingénieurs, bonzes, ministres, médecins, enseignants, commerçants, diplomates, enfants et même dans les derniers mois de 1978, cadres de régime. Aucune n’en est revenue. Trois millions de morts A quinze kilomètres du centre de la ville, à l’endroit où l’autre fois les bourgeois de Phnom Penh venaient le dimanche, prendre de l’air frais au bord de Mékong. On a découvert des fosses communes. C’est là qu’on exécutait les prisonniers de Tuol Slèng et d’autres victimes. Toutes les fosses n’ont pas encore été ouvertes, il y en aurait cent-vingt-neuf. Quatre-vingt-six ont été vidées et les ossements rassemblés dans un fragile abri de feuilles de palmier. Aux pieds des longs rangés, des crânes empilés, des mains pieuses déposent parfois de petits bouquets de fleurs. Au cours d’une excursion, dans la province de Svay Rieng, à une centaine de kilomètres de Phnom Penh. J’ai visité le site d’un autre charnier, découvert quelques jours plus tôt, à la suite d’un glissement de terrain. Les fouilles avaient déjà perdurés, dénombrées près de mille cinq-cents victimes. Parmi les squelettes et les crânes, portant encore souvent, un bandeau sur les orbites. On a trouvé des bâtons, des pioches, des axes de roues de charrettes. C’est avec ces instruments qu’avaient lieu les exécutions. On m’a aussi montré un biberon qui se trouvait dans une fosse. Le Cambodge tout entier, est ainsi habité par des gens qui se souviennent et parsemés de charniers qui témoignent qu’en trois ans et demi, trois millions de Cambodgiens sont morts. C’est le chiffre officiel.