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Au cours des millénaires qui ont suivi les balbutiements de l'agriculture, les humains n'ont cessé de développer savoirs et savoir-faire agricoles, au contact direct de la terre. Pour en tirer le meilleur parti et s'assurer une production durable, il valait mieux composer avec la nature. Et au fur et à mesure des siècles de sédentarisation, chacun travaillant sa petite parcelle, les producteurs ont fini par connaitre sur le bout des doigts le lopin de terre dont ils avaient la charge, dans les moindres particularités du sol, des variétés cultivées, de la faune et de la flore environnante. Pendant des générations, les savoirs et savoir-faire se sont transmis et accumulés. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, face à une pénurie alimentaire et une croissance démographique forte, les gouvernements occidentaux se sont donnés pour objectif prioritaire de développer la production alimentaire. C'est dans cet objectif que l'on a fait le choix d'industrialiser l'agriculture. Modernisation matérielle symbolisée par l'arrivée des tracteurs, mais aussi rationalisation des processus de production : on a confié à la science institutionnelle la mission d'organiser en amont la production agricole, avec pour objectif de l'optimiser... Faciliter et optimiser le travail de l'agriculture, c'est adapter le parcellaire et la topographie aux techniques et engins agricoles modernes (remembrement), c'est la traction mécanique généralisée, l'augmentation de la taille des fermes, l'affaiblissement de la polyculture-élevage au profit des monocultures protégées par des produits phytosanitaires. Les paysans deviennent des « exploitants agricoles ». Le traditionnel agriculteur-expérimentateur change de monde : la science fondamentale a pensé pour lui le modèle agricole optimal, elle en a créé les techniques, transmises aux paysans par des techniciens; il ne lui reste qu'à les appliquer. Il devient le garant d'un modèle qu'il ne maîtrise pas et qui s'impose à son écosystème plutôt que de s'y adapter... La modernisation de l'agriculture n'a pas lieu de façon simpliste et linéaire, et tous les acteurs du monde agricole y participent, bon gré mal gré. Il n'en demeure pas moins que cette nouvelle orientation, impulsée par les gouvernements, théorisée par les chercheurs et mise en œuvre par les agriculteurs, bouleverse les techniques, les relations sociales et les modes de vie et transforme considérablement le rôle de l'agriculteur et son rapport au savoir. Le monde contemporain est confronté aux limites des modèles de production agricole « modernes » face à la fragilité des ressources naturelles. Il nous faut prendre en compte l'environnement sous peine de le détruire, les modèles agricoles vont donc devoir s'adapter aux écosystèmes et non l'inverse. Indispensables à l'évolution de nos modes de production agricoles, les scientifiques pourront-ils se passer des acteurs majeurs des écosystèmes que sont les agriculteurs, ou devront-ils travailler avec eux ? C'est pour tenter de répondre à ces questions que TerrEthique a invité Marcel Mazoyer, Philippe Pastoureau, Daniel Nahon et Claude Aubert à s'exprimer et à débattre lors des Entretiens de Cluny. Retrouvez-nous sur www.terrethique.org